Pourquoi la chanteuse Aaliyah n'est pas restée mythique après sa mort (2024)

25 août 2001, la radio Skyrock est en ébullition. L'une des artistes qu'elle a le plus diffusée durant ces deux dernières années, Aaliyah, est morte dans un accident d'avion. Pire, il y aurait aussi à bord Dr. Dre et Eminem, les deux mastodontes du hip-hop américain. L'animateur Difool vérifie vaguement les sources, qui, à l'antenne, semblent se limiter à quelques messages d'auditeurs laissés sur le site de la station. Bref, pas très fiable tout ça, Difool patauge. On saura quelques heures plus tard que la seule personne connue ayant péri dans l'accident est l'étoile du R'n'B, Aaliyah. Revenus du tournage d'un clip aux Bahamas, elle, le pilote et six membres de l'équipe technique trouvent la mort dans le crash. Une histoire de soute surchargée en bagages et de sang du pilote surchargé en cocaïne.

Les faire-valoir des rappeurs

A l'époque, pourtant, Aaliyah connaît un succès fou. Elle fait partie de cette nouvelle génération de chanteuses R'n'B, telles que les Destiny's Child ou Mýa, qui percent dans la seconde moitié des années 1990. Elles accompagnent leurs aînées Mary J. Blige, Brandy ou TLC, qui ont également annoncé le renouveau du genre, et tranchent avec la vague nu-soul d'Erykah Badu, D'Angelo et Jill Scott. Des ventes pharamineuses, notamment pour Aaliyah qui, en deux albums, cumule déjà dix millions de ventes. Lorsqu'elle disparaît, elle vient de sortir son troisième album, Aaliyah, porté par les singles «I Don't Wanna», «We Need A Resolution», mais surtout «Try Again» qui passe en boucle sur les ondes. Actrice, elle a déjà tourné quelques scènes du second volet de Matrix. Une carrière en plein boom.

Comme on pouvait s'y attendre, les ventes redoublent après l'annonce de sa mort, propulsant Aaliyah et «Try Again» au sommet des charts. Rien de bien étonnant. La vague R'n'B à laquelle elle appartenait continue son bout de chemin, rendant hommage sur hommage à l'étoile du genre éteinte à seulement 22 ans. Sauf que le R'n'B va muter très vite, sans elle. De 2001 à 2004, ça n'est pas tellement la musique qui change, mais plutôt que ces femmes n'ont plus qu'au rôle de faire-valoir de rappeurs en manque d'idées pour leurs refrains. Même si quelques albums R'n'B féminins vont encore réussir à cartonner –les Destiny's Child, Janet Jackson, Alicia Keys. Jennifer Lopez (période J-Lo) est accompagné de Ja Rule sur «I'm Real» (2001), Fat Joe convole avec Ashanti sur «What's Luv» (2001), Nelly aide Kelly Rowland à exister dans l'ombre de Beyoncé sur «Dilemma» (2002). Certes, dans les années 1990, les featurings sont très en vogue mais les chanteuses se développaient parfaitement en solo.

Une non-carrière posthume

Aaliyah est progressivement remplacée par Alicia Keys et consort. Puis par Rihanna et compagnie. De nouvelles écoles. Avec Alicia Keys, celle de la compositrice-chanteuse-instrumentiste. Avec Rihanna, les productions modernisées, l'esprit dirty south qui influence les voix féminines. Mais surtout, l'arrivée de l'auto-tune, qui permet aux rappeurs de booster leur voix, change tout. L'époque des featurings à la chaîne, des histoires d'amour entre Ashanti et Ja Rule est terminée. Et Aaliyah, comme les autres, ne s'en serait pas forcément mieux sorti que Nelly ou Mýa.

Alors oui, après le décès d'Aaliyah, une compilation de ses meilleures titres est mise sur le marché en 2002, un an après, et fait des scores honnêtes. Mais ensuite... Plus rien. En même temps que l'époque du R'n'B qu'elle incarnait se termine, son souvenir disparaît. Il revient de temps en temps certes, mais pour une artiste ayant vendu plus de trente-cinq millions d'albums, on peut dire que le silence règne. En 2014, un biopic a été diffusé aux États-Unis. Un vrai four, d'autant qu'il s'agissait d'un téléfilm, et qu'il a suscité de vives critiques. La famille de la chanteuse qui n'en voulait pas, un traitement douteux de sa relation avec le chanteur R. Kelly (alors qu'elle n'avait que 15 ans), Timbaland, producteur et ami d'Aaliyah qui descend le projet en flamme...

Les «protégées» des producteurs

Comment une telle usine à tubes peut-elle être finalement aussi peu mise en valeur après sa mort? Parce qu'à force d'exploiter le filon du featuring avec un rappeur pour jouer au couple qui se déchire durant 3min30, le public se lasse. Les titres sortis à la chaîne, les envolées vocales usantes, les textes souvent creux. Si, avant 2001, certaines productions, de Timbaland notamment, étaient véritablement audacieuses, elles commencent ensuite à tourner en rond. C'est classique, un style se meurt. Juste quelques madeleines de Proust qui agiront sur les 25-35 ans aujourd'hui. Quinze ans après le décès d'Aaliyah, il n'y a bien que Beyoncé qui a survécu. Même Jennifer Lopez, qui a ensuite joué dans quelques films, et même si elle sort encore un album prochainement n'est pas la star qu'est aujourd'hui la femme de Jay-Z. Ce R'n'B marque profondément les carrières de ceux qui en ont été les acteurs, il les a aussi rendus dépassés très vite. Et Aaliyah ne fait pas exception. Tout comme Kayna Samet ou Wallen en France.

Aussi, les producteurs ont joué un rôle peut-être trop important dans l'éclosion de cette «scène». Timbaland, Puff Daddy, Stevie J., Irv Gotti... Non seulement les chanteuses font parfois office de faire-valoir des rappeurs, mais elles sont les «protégées» de leurs producteurs. Elles sont l'archétype de la chanteuse-objet, se ressemblant dans le style et dans la voix. Jusqu'à ce que les ventes baissent bien sûr. Et qu'une mutation progressive du R'n'B incarné par de nouvelles têtes ne s'opère. Pourquoi les Kelly Rowland, Ashanti, Mya et Kelly Price n'ont-elles donc pas changé leur style? Parce que les producteurs ne les ont pas suivies et que, lorsqu'elles ont changé de registre, elles étaient déjà en retard.

Pas de revival

Aaliyah a bel et bien marqué les esprits, et incarne certainement une forme d'âge d'or du R'n'B contemporain. Mais cet âge d'or a-t-il sa place dans le cœur du public? Les albums sortis entre 2001 et 2004, période d'extinction progressive du genre, vont de plus en plus être repris dans des compilations de revival de ces années. On en est aux années 1990, logiquement, cela devrait arriver dans trois ou quatre ans. Le problème avec ces revivals, c'est que tout ne revient pas au goût du jour. L'histoire trie la musique. Timbaland a bien sorti un titre d'Aaliyah que personne ne connaissait en 2015, suscitant l'intérêt des fans, mais sans devenir un tube. Et quelques titres peuvent effectivement ressortir, comme «Jenny From The Block» ou «What's Luv» lors de soirées nostalgie, mais on doute fortement d'un vrai retour en grâce d'Aaliyah.

Et puis, il faut l'avouer, on en a trop fait. Certes, elle était la chanteuse qui monte, mais sa mort nous offre une vision tronquée de son succès. Elle n'était, d'une certaine manière, malgré les ventes, qu'une étoile de R'n'B. Les hommages en cascade et la maison de disque ont fait le reste, et ont contribué à construire un mythe. Or l'exagération ne résiste pas au temps.

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